Pourquoi voyager à l’autre bout du monde ne rend pas plus ouvert, ni intéressant.

 

Lorsque l’on évoque le futur du voyage, moins loin et sans avion, on s’aperçoit vite que la tendance du “redécouvrir la France” ne fait pas l’unanimité. Dans le lot de boucliers qui se lèvent contre cette perspective, revient le besoin de découvrir d’autres cultures, de cultiver l’ouverture d’esprit ou encore d’élargir ses horizons. C’est beau.

A en croire les penseurs et artistes du 19ème siècle, le voyage lointain, rarissime à cette époque, c’est le graal. Pour Emile Zola, « rien ne développe l'intelligence comme les voyages », tandis que Mark Twain martèle qu’« il faut voyager pour apprendre ». Soit. Sauf qu’entre la période romantique et notre époque, l’industrie touristique est passée par là, et ce qu’on appelle “voyager” en a été totalement transformé.

Si le voyage devrait être un droit pour tous pour, en effet, découvrir et mieux comprendre le monde, il est à distinguer de ce que nous en avons fait : une consommation effrénée de la part des catégories les plus aisées.


Pourquoi voyager loin ne rime pas forcément avec ouverture d’esprit :

1. Parce que ce n’est plus l’ouverture à la vie et au monde que l’on recherche en voyageant. Tout simplement.

 
 


2. Parce que le voyage, édifié comme expérience de la différence, conduit le plus souvent à apprécier un folklore uniformisé plutôt qu’à une réelle compréhension de ce qui fait une société.

3. Parce qu’on n’a pas noté d’explosion de tolérance, de respect et de générosité dans le monde depuis l’avènement du tourisme. Aucun lien n’est fait entre voyager et devenir une meilleure personne.

Alors bien sûr, on a bien quelques prises de conscience. Parce que oui, “on a vraiment de la chance chez nous”. Mais la chanson, on la connaît tous :


4. Parce que l’ouverture d’esprit, la curiosité et le goût des autres est une disposition mentale, pas un acquis du voyage. Si on ne le fait pas dans notre propre pays et au quotidien, comment suppose-t-on pouvoir le faire à l’autre bout du monde ?

 
 

En somme, au-delà de la chasse aux émissions de CO2, c’est le but de nos voyages que l’on doit interroger sincèrement : Pourquoi part-on si loin et si souvent ? Est-ce que mon voyage a toujours autant d’importance si je ne prends pas de photos ? Qu’est-ce qui fait le sel de mes meilleurs souvenirs et est-ce que je peux les vivre plus près ?


Ce travail, on l’a fait de notre côté depuis quelques années. Et la conclusion est que ce qui apporte le plus de joie, ce sont les échanges spontanés avec les inconnus. On en tire de la joie mutuelle, une foi en l’humanité et une ouverture sur le monde de l’autre.

Et nul besoin que cette personne habite dans un pays lointain, notre société est bien assez diversifiée et fragmentée pour avoir des choses à explorer, à découvrir et à comprendre.

A titre d’exemple, on a traversé le Massif Central à vélo cet été, et voici notre Top 3 des moments les plus magiques :

  • TOP 1 - Discuter pendant 1h au petit-déjeuner avec le gardien du buron du Puy Mary (sommet du Cantal) de sa perception du changement climatique, qu’il observe depuis des années sur le territoire où il a grandi.

  • TOP 2 - Se faire prendre en stop et discuter avec une néo-rurale de 30 ans, qui a fait le choix de venir vivre dans un village de 300 habitants il y a quelques années. Découvrir des formes de solidarités insoupçonnées.

  • TOP 3 - Discuter pendant 45 min avec un contrôleur de train excédé (mais sympathique) par le nombre faramineux de vélos à caser dans les TER. Parler de la difficulté de s’adapter aux flux de voyageurs pendant l’été et de l’évolution des conditions de travail qui peuvent expliquer les grèves du personnel.


Mieux que le JT, non ?


Bon ok, mais comment reconquérir notre ouverture d’esprit en voyageant ?

 

Voyager est devenu, en un siècle, un bien de consommation courante pour une partie de la population. De l’ordre de l’extraordinaire et de la rareté, il est devenu un divertissement accessible pour tromper la routine, pour se valoriser socialement ou pour souffler d’une modernité éreintante.

Le challenge qui nous attend est vaste, aussi vaste que le monde puisse l’être en termes d’enseignements et de richesses culturelles. Reste à vouloir s’en saisir pleinement.

 

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Auteure : Amélie Deloffre
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